Un texte d’Adrienne von Speyr, mystique suisse, 1902-1967
„Le samedi saint, le Seigneur se trouve tout d’abord au milieu des deux extrêmes; d’un côté se trouve l’œuvre du pur amour : la croix, de l’autre côté l’œuvre de la pure justice : l’enfer. Et il voit ce que le Père fait des deux : il voit la synthèse.
Il y a ici une prévenance réciproque de la part du Père et de la part du Fils. La prévenance du Fils consiste en ce qu’il a déposé sa rédemption auprès du Père pour être initié au mystère du Père. Par sa souffrance sur la croix, il a en main la clef de la rédemption; en soi, il pourrait absoudre toutes les âmes tout de suite et tout simplement les conduire au ciel.
Mais cela se ferait sans tenir compte du Père, cela ne se ferait donc pas dans l’unité de l’amour du Père ni à l’intérieur de sa mission. C’est pourquoi il doit se porter à la rencontre de la justice du Père.
Le Père vient à la rencontre du Fils en ne lui montrant pas en premier lieu l’enfer nu, mais la synthèse de l’enfer et de la croix, donc l’effet de l’amour du Fils à l’intérieur de la pure justice. Avant la croix, il n’y avait que l’enfer définitif. Il n’y a de purgatoire que par l’acte rédempteur du Fils. Et le Père montre au Fils qu’il n’est pas sans être influencé par la rédemption, même si cette rédemption demeure provisoirement déposée auprès de lui, le Père.”
Sur Adrienne von Speir, in La Croix, 24.03.16
La Croix : Les Éditions Johannes Verlag ont entrepris de publier les œuvres d’Adrienne von Speyr en français, pourquoi ?
Julien de Vulpillières : Les Éditions Johannes Verlag ont été fondées en 1947 en Suisse par le P. Hans Urs von Balthasar pour éditer l’œuvre d’Adrienne von Speyr, dont il était le directeur spirituel, ainsi que ses propres écrits. Après soixante-cinq ans de publications en allemand, elles ont souhaité publier cette œuvre en français, en rassemblant et complétant les traductions déjà existantes. C’est un très long travail qui s’annonce.
Quel est le public visé ?
J. de V. : Adrienne von Speyr peut parler à tout le monde. Elle commente l’Écriture et conduit à la méditation. Mais cette lecture peut rebuter parce qu’elle affirme ce qu’elle a à dire avec une certaine autorité et met devant la conversion. Les gens simples n’ont aucun souci avec cela et ils ont un accès immédiat à elle.
En revanche, elle peut mettre mal à l’aise ceux qui prétendent avoir quelque idée arrêtée sur Dieu, l’Écriture, la vie chrétienne, ceux qui reprennent le grand mot des pharisiens : « Nous nous savons… » (voir Jn 9, 24), si bien qu’il n’y a pas de place en eux pour autre chose. Adrienne von Speyr aimait à dire : « Dieu est autrement », toujours au-delà.
Selon le P. Balthasar, le discernement spirituel est un trait caractéristique d’Adrienne von Speyr. En quoi est-elle ignatienne ?
J. de V. : Par la place donnée à Dieu, certainement. Pour saint Ignace, à deux choses équivalentes, on choisira de travailler « à ce qui donne plus grande gloire à Dieu ». Adrienne von Speyr est attentive aussi au « toujours davantage », le« semper magis » ignatien, cette recherche d’une plus grande disponibilité à Dieu tout en étant entièrement présent à ce qu’on fait – elle était médecin, femme mariée, mère de famille, avec un grand sens du concret.
La dimension mystique s’est manifestée très tôt chez elle. À 6 ans, alors qu’elle grandit dans une famille protestante, elle rencontre un homme qui boite et rayonne « une grande pauvreté » et en qui elle a très clairement reconnu, ensuite, saint Ignace.
Quel rapport y a-t-il entre cette dimension mystique et ses écrits ?
J. de V. : Adrienne von Speyr ne parle jamais d’elle-même et reste très discrète sur cet aspect-là. Elle a vécu ses expériences particulières comme un service à une personne donnée et plus généralement à l’Église.
Selon le P. Balthasar, son charisme propre est un charisme de prophétie, c’est-à-dire d’interprétation de l’Écriture. Finalement, seul son commentaire de l’Apocalypse, la révélation confiée à saint Jean dans une vision, traite de la mystique comme telle, comprise comme un service à l’Église.