La Bible est truffée d’exemples de comportements pervers et le Christ n’a cessé de les affronter. Des religieux de l’époque cherchaient par exemple à s’emparer des faits et gestes de Jésus afin de le coincer et l’accuser. Dans Matthieu, Marc et Luc, les pharisiens envoient des émissaires, des « espions », pour manoeuvrer en coulisses (perversion). Ils leur font dire : « Maître, nous savons que tu es vrai et le chemin de Dieu, tu l’enseignes en vérité. Tu ne te laisses influencer par personne, car tu ne regardes pas à la face des humains… » (tu n’agis pas à la tête du client). Il y a là de la séduction : seducere, en latin, signifie « conduire à soi-même ».
On manipule autrui de façon à se l’assimiler (forme de prédation). Les personnes perverses savent caresser dans le sens du poil. En fait, les émissaires lui tendent un piège : faut-il payer ou non l’impôt à César ? Ils savent que leur question va mettre Jésus en danger. Car, soit il est cohérent avec lui-même et il va dire qu’il faut se soumettre à Dieu seul et il tombe dans l’illégalité, soit il s’incline devant l’occupant et il se discrédite auprès des croyants. Voilà donc un mélange explosif de séduction et de manipulation.
Dans votre livre, vous détaillez des facettes de la perversion (mensonge, culpabilisation, confusion…). La perversion narcissique englobe-t-elle tout cela ?
Les spécialistes estiment que 2 à 4% de la population seraient structurés ainsi. Le noyau de la perversion narcissique est le refus de l’altérité : l’autre n’a pas le droit d’être autre. Aussi, ces personnes sont incapables de se remettre en question. Il existe des comportements pervers à des degrés divers. Toutes ces manoeuvres que j’ai détaillées, Jésus en a fait les frais… et nous risquons tous de glisser sur cette pente. Le Christ a averti autant ses adversaires que les disciples eux-mêmes.
D’un point de vue chrétien, que peut-on espérer des pervers narcissiques ?
Même lorsque la personne a été diagnostiquée comme telle, qui suis-je pour dire qu’elle est condamnée de façon définitive ? Dieu seul le sait. Jésus révèle une série de ressources spirituelles que nous avons en nous pour nous mettre à l’abri de ces comportements destructeurs… et laisser ouverte la porte au Souffle saint.
Vous préconisez donc de rester ouvert au Souffle tout en se mettant à l’abri…
J’ai beaucoup entendu et lu qu’il fallait partir en courant face à quelqu’un de pervers narcissique. Mais cela ne collait pas avec ma perception de l’Évangile et ma vision de notre potentiel spirituel. Aussi, une mère, un père, quelqu’un de proche dans sa famille, on l’a pour la vie. Il n’est pas toujours facile de se détourner de façon radicale. Je pense qu’on peut garder la relation ouverte en connaissance de cause, notamment par un énorme travail de différenciation vis-à-vis de la personne manipulatrice, toxique et destructrice.
Et quand il s’agit de son conjoint ?
C’est pareil. Je vois des personnes qui sont dans une totale lucidité par rapport aux stratégies perverses et répétitives de leur conjoint, mais qui ont décidé de garder la relation malgré tout. Elles sentent en elles qu’elles le peuvent. J’ai observé bien des fois que cela les faisait aussi évoluer d’être confrontées au quotidien avec une telle personne. Je pense à une femme qui a appris à prendre enfin sa place, en refusant de laisser passer les stratégies perverses, en les nommant autant que nécessaire, en se positionnant, en se faisant respecter.
Le combat qu’elle mène est avant tout pour elle. Ce n’est pas pour que l’autre change : il y a là un deuil à faire. Certains aussi restent en connaissance de cause, car leur conjoint serait anéanti par la séparation. On est dans ce que la Bible appelle Agapé : l’amour inconditionnel, sans attente de réciprocité. Cela ne peut venir que de mes ressources spirituelles, de Dieu en moi. Et c’est rare car beaucoup ne peuvent pas aller jusque-là.
Pouvez-vous développer cette idée de la différenciation ?
Se différencier consiste à travailler sur son altérité et son droit à être différent. Jésus dit : « Ne croyez pas que je suis venu apporter la paix sur la terre. Je suis venu apporter l’épée » (Matthieu 10, 34-36). Il nous donne les moyens de nous différencier les uns des autres, en sortant de la confusion que la personne perverse crée et entretient puisqu’elle ne cesse de projeter sur moi ce qui lui appartient, jusqu’à me rendre fou ou folle ; en me culpabilisant pour ne pas assumer sa propre responsabilité etc. C’est son problème.
Dans la mesure où je suis clairement conscient de mon altérité, je n’ai plus besoin de me protéger. Et dès qu’il y a une invasion j’agis en conséquence. Je peux revendiquer et occuper mon propre territoire, refuser d’être « intrusé » par la personne, et je lui reconnais son propre territoire (même si elle ne reconnaît pas le sien). Plus on fait ce travail, plus on est capable d’exercer cette autorité qui vient de Dieu. Le Christ s’est positionné en disant : « Moi, je suis ». Voilà une parole irremplaçable, unique en chacun, qu’on ne peut ni usurper ni étouffer. Nous avons tous au fond de nous ce « Moi, je suis » divin, qui est notre espace sacré, inviolable sur lequel aucune personne perverse n’a de prise ni d’emprise.
Quelles sont les ressources spirituelles pour affronter la perversion ?
Si je suis bien à l’écoute de cet ego divin, je vais par exemple choisir le bon moment pour parler, comme Jésus l’a fait. Voilà une ressource spirituelle : sentir que telle chose n’est pas à dire maintenant, car cela pourrait se retourner, être utilisé contre moi. Ce n’est pas du calcul, mais du discernement en âme et conscience. Car tout l’enjeu est de favoriser la relation, ce que ne veut pas la personne perverse. Une autre ressource est de trouver ou retrouver la parole.
Dans tous les contextes où l’on doit se défendre, combien de fois est-on totalement paralysé après avoir été trop longtemps victime ? Jésus dit :
« Ce que vous entendrez du Souffle saint, vous le direz, dites-le, ne vous inquiétez pas à l’avance. »
Une troisième ressource est le retrait au bon moment. Tant de personnes n’osent pas prendre leur distance avec une personne perverse parce que « ce n’est pas chrétien » ou « pas gentil ». Jésus l’a lui même fait « x » fois, soit physiquement, soit intérieurement. Dans le récit de la Passion, lorsqu’il est harcelé de questions tendancieuses et mensongères, il se retire à l’intérieur de lui-même. Les ressources sont aussi nombreuses que les comportements pervers sont multiples… et la Vie toujours plus forte que ces agissements mortifères.
À lire
Faire face à la perversion, de Lytta Basset, 22,90 EUR.(Albin Michel)