9. VERS LE PÈRE
Il y a le Fils. Et il y a le Père. Notre lecture de l’Évangile demeurera superficielle tant que nous y verrons seulement une vie et un message tournés vers les hommes. Le cœur de l’Évangile, le mystère de Jésus est le rapport entre le Père et le Fils unique. Prononcer le nom de Jésus, c’est prononcer la Parole qui était au commencement (Jn 1,1), la Parole que le Père prononce de toute éternité. Le nom de Jésus, pourrions-nous dire (avec quelque anthropomorphisme aisément rectifiable), est la seule parole humaine que le Père prononce, tandis qu’il engendre le Fils et se donne à lui.
Prononcer le nom de Jésus, c’est nous approcher du Père, c’est contempler l’amour et le don du Père se concentrant sur Jésus, c’est sentir (dans notre pauvre mesure) quelque chose de cet amour et nous y associer de loin, c’est entendre la voix du Père déclarant : Tu es mon Fils bien-aimé (Lc 3,22) et dire humblement ” Oui ” à cette déclaration. Prononcer le nom de Jésus, c’est, d’autre part, autant que peut une créature, entrer dans la conscience filiale du Christ. C’est, après avoir trouve dans le mot ” Jésus ” le tendre appel du Père : ” Mon Fils ! „, y trouver aussi la tendre réponse du Fils : „Mon Père ! ” C’est reconnaître en Jésus l’expression parfaite du Père, nous unir à l’éternelle orientation du Fils vers le Père, à l’offrande totale du Fils à son Père. Prononcer le nom de Jésus, c’est (s’il est permis de parler ainsi) joindre de quelque manière le Fils au Père et entrevoir quelque reflet du mystère de leur unité. C’est trouver le meilleur accès au cœur du Père.
10. JÉSUS TOUT ENTIER
Nous avons considéré divers aspects de l’invocation du nom de Jésus. Nous les avons disposés selon une sorte d’échelle ascendante, peut-être pédagogiquement utile, mais artificielle, car, en fait, des degrés se mêlent et Dieu ne donne pas l’Esprit avec mesure (Jn 3,34). À tel ou tel stage de la pratique de l’invocation du nom de Jésus, il peut être bon, nécessaire même, de se concentrer sur un aspect particulier du nom divin.
Mais un moment vient où une telle particularisation devient pesante, difficile, parfois même impossible. La considération et l’invocation du nom de Jésus deviennent alors globales. Toutes les implications du nom nous deviennent simultanément, quoique confusément, présentes. Nous disons ” Jésus „, et nous nous reposons dans une plénitude, une totalité qu’il ne nous est plus possible de disjoindre. Le nom de Jésus devient alors porteur du Christ total. Il nous introduit dans la Présence totale. En celle-ci se trouvent données toutes les réalités vers lesquelles le Nom nous a été un moyen d’approche : le salut et le pardon, l’Incarnation et la Transfiguration, l’Église et l’Eucharistie, l’Esprit et le Père. Toutes choses nous apparaissent alors comme réunies en Christ (Ép 1,10). La Présence totale est tout. Sans elle le Nom n’est rien. Qui a atteint la Présence n’a plus besoin du Nom. Le Nom n’est que le support de la Présence, et, au terme de la toute, nous devons devenir libres du Nom lui-même, libres de tout, sauf de Jésus, du contact vivant et indicible avec sa Personne. Le rayon de lumière rassemble les couleurs diverses que le prisme disperse. Ainsi le ” Nom total „, signe et portent de la Présence totale, agit comme une lentille qui reçoit et concentre la blanche lumière de Jésus. Cette lentille – le Nom de Celui qui est la lumière du monde – nous aide à allumer le feu dont il a été dit : Je suis venu mettre le feu sur la terre (Lc 12,49). Si nous nous attachons au nom de Jésus, nous recevrons la bénédiction spéciale que l’Écriture promet : Sois-moi miséricordieux, comme tu es accoutumé de l’être à ceux qui aiment ton nom (Ps 118,132). Et puisse le Seigneur, veuille le Seigneur dire de nous ce qu’il disait de Saul : Il m’est un vase choisi pour porter mon nom(Ac 9,15).
L. Gillet, Un Moine de l’Eglise d’Orient, La prière de Jésus (suite)