Le mystère du Samedi Saint

D’une méditation de Benoît XVI à l’occasion de la vénération du Saint Suaire

A l’occasion de l’ostension du Saint Suaire (du 10 avril au 23 mai 2010), le pape Benoît XVI s’est rendu à la cathédrale de Turin pour y vénérer la relique dimanche 2 mai. Il a lu à cette occasion une méditation intitulée « Le mystère du Samedi Saint ».

 

„Le Samedi Saint est le jour où Dieu est caché, comme on le lit dans une ancienne Homélie: « Que se passe-t-il? Aujourd’hui, un grand silence enveloppe la terre. Un grand silence et un grand calme. Un grand silence parce que le Roi dort… Dieu s’est endormi dans la chair, et il réveille ceux qui étaient dans les enfers » (Homélie pour le Samedi Saint, PG 43, 439). Dans le Credo, nous professons que Jésus Christ « a été crucifié sous Ponce Pilate, est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers. Le troisième jour est ressuscité des morts ».

Chers frères et sœurs, à notre époque, en particulier après avoir traversé le siècle dernier, l’humanité est devenue particulièrement sensible au mystère du Samedi Saint. Dieu caché fait partie de la spiritualité de l’homme contemporain, de façon existentielle, presque inconsciente, comme un vide dans le cœur qui s’est élargi toujours plus. Vers la fin du xix siècle, Nietzsche écrivait: « Dieu est mort! Et c’est nous qui l’avons tué! ». Cette célèbre expression est, si nous regardons bien, prise presque à la lettre par la tradition chrétienne, nous la répétons souvent dans la Via Crucis, peut-être sans nous rendre pleinement compte de ce que nous disons. Après les deux guerres mondiales, les camps de concentration et les goulags, après Hiroshima et Nagasaki, notre époque est devenue dans une mesure toujours plus grande un Samedi Saint: l’obscurité de ce jour interpelle tous ceux qui s’interrogent sur la vie, et de façon particulière nous interpelle, nous croyants. Nous aussi nous avons affaire avec cette obscurité.

Et toutefois, la mort du Fils de Dieu, de Jésus de Nazareth a un aspect opposé, totalement positif, source de réconfort et d’espérance. Et cela me fait penser au fait que le Saint-Suaire se présente comme un document « photographique », doté d’un « positif » et d’un « négatif ». Et en effet, c’est précisément le cas: le mystère le plus obscur de la foi est dans le même temps le signe le plus lumineux d’une espérance qui ne connaît pas de limite. Le Samedi Saint est une « terre qui n’appartient à personne » entre la mort et la résurrection, mais dans cette « terre qui n’appartient à personne » est entré l’Un, l’Unique qui l’a traversée avec les signes de sa Passion pour l’homme: « Passio Christi. Passio hominis ». Et le Saint-Suaire nous parle exactement de ce moment, il témoigne précisément de l’intervalle unique et qu’on ne peut répéter dans l’histoire de l’humanité et de l’univers, dans lequel Dieu, dans Jésus Christ, a partagé non seulement notre mort, mais également le fait que nous demeurions dans la mort. La solidarité la plus radicale.

Dans ce « temps-au-delà-du temps », Jésus Christ « est descendu aux enfers ». Que signifie cette expression? Elle signifie que Dieu, s’étant fait homme, est arrivé au point d’entrer dans la solitude extrême et absolue de l’homme, où n’arrive aucun rayon d’amour, où règne l’abandon total sans aucune parole de réconfort: « les enfers ». Jésus Christ, demeurant dans la mort, a franchi la porte de cette ultime solitude pour nous guider également à la franchir avec Lui. Nous avons tous parfois ressenti une terrible sensation d’abandon, et ce qui nous fait le plus peur dans la mort, est précisément cela, comme des enfants, nous avons peur de rester seuls dans l’obscurité, et seule la présence d’une personne qui nous aime peut nous rassurer.

Voilà, c’est précisément ce qui est arrivé le jour du Samedi Saint: dans le royaume de la mort a retenti la voix de Dieu. L’impensable a eu lieu: c’est-à-dire que l’Amour a pénétré « dans les enfers »: dans l’obscurité extrême de la solitude humaine la plus absolue également, nous pouvons écouter une voix qui nous appelle et trouver une main qui nous prend et nous conduit au dehors. L’être humain vit pour le fait qu’il est aimé et qu’il peut aimer; et si dans l’espace de la mort également, a pénétré l’amour, alors là aussi est arrivée la vie. A l’heure de la solitude extrême, nous ne serons jamais seuls: « Passio Christi. Passio hominis ».

Tel est le mystère du Samedi Saint! Précisément de là, de l’obscurité de la mort du Fils de Dieu est apparue la lumière d’une espérance nouvelle: la lumière de la Résurrection. Et bien, il me semble qu’en regardant ce saint linceul avec les yeux de la foi, on perçoit quelque chose de cette lumière. En effet, le Saint-Suaire a été immergé dans cette obscurité profonde, mais il est dans le même temps lumineux; et je pense que si des milliers et des milliers de personnes viennent le vénérer, sans compter celles qui le contemplent à travers les images – c’est parce qu’en lui, elles ne voient pas seulement l’obscurité, mais également la lumière; pas tant l’échec de la vie et de l’amour, mais plutôt la victoire, la victoire de la vie sur la mort, de l’amour sur la haine; elles voient bien la mort de Jésus, mais elles entrevoient sa Résurrection; au sein de la mort bat à présent la vie, car l’amour y habite. 

Tel est le pouvoir du Saint-Suaire: du visage de cet « Homme des douleurs », qui porte sur lui la passion de l’homme de tout temps et de tout lieu, nos passions, nos souffrances, nos difficultés, nos péchés également – « Passio Christi. Passio hominis » – de ce visage émane une majesté solennelle, une grandeur paradoxale. Ce visage, ces mains et ces pieds, ce côté, tout ce corps parle, il est lui-même une parole que nous pouvons écouter dans le silence. Que nous dit le Saint-Suaire? Il parle avec le sang, et le sang est la vie! Le Saint-Suaire est une Icône écrite avec le sang; le sang d’un homme flagellé, couronné d’épines, crucifié et transpercé au côté droit.

L’image imprimée sur le Saint-Suaire est celle d’un mort, mais le sang parle de sa vie. Chaque trace de sang parle d’amour et de vie. En particulier cette tâche abondante à proximité du flanc, faite de sang et d’eau ayant coulé avec abondance par une large blessure procurée par un coup de lance romaine, ce sang et cette eau parlent de vie. C’est comme une source qui murmure dans le silence, et nous, nous pouvons l’entendre, nous pouvons l’écouter, dans le silence du Samedi Saint.”

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Sabbat

«  Les femmes trouvèrent la pierre roulée
sur le côté du tombeau. Elles entrèrent,
mais ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus.  »
Évangile selon saint Luc, chapitre 24, versets 2 & 3
La méditation Mgr David Macaire
Il n’y a pas grand-chose à faire aujourd’hui. À Jérusalem, c’est le sabbat, la commémoration hebdomadaire du repos divin. Après que tout a été accompli, Dieu s’est reposé. De même, le Fils de l’homme repose au tombeau. L’œuvre du salut, plus admirable encore que l’œuvre de la création, mérite ce grand calme du Samedi saint. Seul le repos apaise le cœur. L’Église aussi, comme les disciples, attend, les yeux fermés.
De fait, il n’y a pas grand-chose à voir dans la nuit. Les saintes femmes attendront le jour pour visiter et embaumer le corps de celui qu’elles aiment, mais le spectacle risque d’être bien triste dans la pénombre du tombeau, elles se dépêcheront. Et pourtant, seule cette nuit permet de voir… Il n’est pas prévu qu’elles s’attardent, elles se tairont, car la mort semble avoir le dernier mot. D’ailleurs, il n’y a pas grand-chose à dire ce matin. Tout a été dit : le Verbe est venu, le Verbe est né, le Verbe a parlé, le Verbe a souffert, le Verbe est mort… Qu’ajouter encore à la plénitude de la révélation ? Seul le silence permet d’entendre.
Rien à faire, rien à voir et rien à dire : le mouvement de l’histoire est comme arrêté. Mais celui du cœur et de l’esprit est d’autant plus en ébullition. Et si repos, nuit ou silence sont une ambiance de mort pour certains, ils signalent le temps de l’espérance pour d’autres. Ceux qui croient que, dans le repos, la vie entre en mouvement ; que la lumière jaillit de la nuit et qu’un cri de victoire viendra transpercer le silence. Tout est en devenir : la vie arrive, le règne de la Miséricorde arrive.
Méditation enregistrée dans les studios de Radio Saint Louis (Martinique)
Pour aller plus loin avec la Parole
Quand l’agneau ouvrit le septième sceau, il y eut dans le ciel un silence d’environ une demi-heure.

Livre de l’Apocalypse, chapitre 8, verset 1.

Comprenne qui peut…

Un texte d’Adrienne von Speyr, mystique suisse, 1902-1967

„Le samedi saint, le Seigneur se trouve tout d’abord au milieu des deux extrêmes; d’un côté se trouve l’œuvre du pur amour : la croix, de l’autre côté l’œuvre de la pure justice : l’enfer. Et il voit ce que le Père fait des deux : il voit la synthèse.

Il y a ici une prévenance réciproque de la part du Père et de la part du Fils. La prévenance du Fils consiste en ce qu’il a déposé sa rédemption auprès du Père pour être initié au mystère du Père. Par sa souffrance sur la croix, il a en main la clef de la rédemption; en soi, il pourrait absoudre toutes les âmes tout de suite et tout simplement les conduire au ciel.

Mais cela se ferait sans tenir compte du Père, cela ne se ferait donc pas dans l’unité de l’amour du Père ni à l’intérieur de sa mission. C’est pourquoi il doit se porter à la rencontre de la justice du Père.

Le Père vient à la rencontre du Fils en ne lui montrant pas en premier lieu l’enfer nu, mais la synthèse de l’enfer et de la croix, donc l’effet de l’amour du Fils à l’intérieur de la pure justice. Avant la croix, il n’y avait que l’enfer définitif. Il n’y a de purgatoire que par l’acte rédempteur du Fils. Et le Père montre au Fils qu’il n’est pas sans être influencé par la rédemption, même si cette rédemption demeure provisoirement déposée auprès de lui, le Père.”

 

Sur Adrienne von Speir, in La Croix, 24.03.16

La Croix  : Les Éditions Johannes Verlag ont entrepris de publier les œuvres d’Adrienne von Speyr en français, pourquoi ?

Julien de Vulpillières : Les Éditions Johannes Verlag ont été fondées en 1947 en Suisse par le P. Hans Urs von Balthasar pour éditer l’œuvre d’Adrienne von Speyr, dont il était le directeur spirituel, ainsi que ses propres écrits. Après soixante-cinq ans de publications en allemand, elles ont souhaité publier cette œuvre en français, en rassemblant et complétant les traductions déjà existantes. C’est un très long travail qui s’annonce.

Quel est le public visé ?

J. de V. : Adrienne von Speyr peut parler à tout le monde. Elle commente l’Écriture et conduit à la méditation. Mais cette lecture peut rebuter parce qu’elle affirme ce qu’elle a à dire avec une certaine autorité et met devant la conversion. Les gens simples n’ont aucun souci avec cela et ils ont un accès immédiat à elle.

En revanche, elle peut mettre mal à l’aise ceux qui prétendent avoir quelque idée arrêtée sur Dieu, l’Écriture, la vie chrétienne, ceux qui reprennent le grand mot des pharisiens : « Nous nous savons… » (voir Jn 9, 24), si bien qu’il n’y a pas de place en eux pour autre chose. Adrienne von Speyr aimait à dire : « Dieu est autrement », toujours au-delà.

Selon le P. Balthasar, le discernement spirituel est un trait caractéristique d’Adrienne von Speyr. En quoi est-elle ignatienne ?

J. de V. : Par la place donnée à Dieu, certainement. Pour saint Ignace, à deux choses équivalentes, on choisira de travailler « à ce qui donne plus grande gloire à Dieu ». Adrienne von Speyr est attentive aussi au « toujours davantage », le« semper magis » ignatien, cette recherche d’une plus grande disponibilité à Dieu tout en étant entièrement présent à ce qu’on fait – elle était médecin, femme mariée, mère de famille, avec un grand sens du concret.

La dimension mystique s’est manifestée très tôt chez elle. À 6 ans, alors qu’elle grandit dans une famille protestante, elle rencontre un homme qui boite et rayonne « une grande pauvreté » et en qui elle a très clairement reconnu, ensuite, saint Ignace.

Quel rapport y a-t-il entre cette dimension mystique et ses écrits ?

J. de V. : Adrienne von Speyr ne parle jamais d’elle-même et reste très discrète sur cet aspect-là. Elle a vécu ses expériences particulières comme un service à une personne donnée et plus généralement à l’Église.

Selon le P. Balthasar, son charisme propre est un charisme de prophétie, c’est-à-dire d’interprétation de l’Écriture. Finalement, seul son commentaire de l’Apocalypse, la révélation confiée à saint Jean dans une vision, traite de la mystique comme telle, comprise comme un service à l’Église.

Vendredi saint

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Semaine Sainte                                 Vendredi 25 mars 2016

 LECTURES : Isaïe 52,13 – 53,12; Psaume 30; Hébreux 4,14…19,42; Jean 18,1 – 19,42

Ecce homo

« Qu’as-tu fait ? » demande Pilate à Jésus. Mais pour lui, les choses sont claires : son intérêt personnel prévaudraLe chemin de Croix du Fils commence :

« Nous avons jugé Dieu et nous l’avons condamné à mort » (Paul Claudel).

A la deuxième station du chemin de Croix, le Saint s’identifie à notre misère :

« Voici l’agneau de Dieu, qui prend sur lui le péché du monde ».

A la troisième station, Jésus tombe sous notre poids.

« Ils se rient de ma chute, ils s’attroupent, ils s’attroupent contre moi ».

A la quatrième station, Jésus rencontre sa mère, éperdue de douleur.

« Toi-même, une épée te transpercera l’âme ».

Au cinquième arrêt, un passant se charge de la Croix qui portera les nôtres.

« Car tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et moi je t’aime ».

A la sixième station, une femme essuie le visage de l’Homme :

« L’amour parfait chasse la crainte ».

A la septième station, Dieu tombe une deuxième fois :

« Quiconque s’abaisse sera élevé ».                                   

A la huitième station, Dieu réconforte les pleureuses :

« Ceux qui sèment dans les larmes moissonnent en chantant ».

A la neuvième station, Dieu atteint les profondeurs du désespoir humain :

« Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur ».

A la dixième station, Jésus se laisse dépouiller :

« Ils partagent entre eux mes habits et tirent au sort mes vêtements ».

A la onzième station, le Roi du monde est cloué au lit de toutes nos douleurs :   

« Pas ma volonté, Père, mais la tienne… »

A la douzième station du chemin de Croix, Jésus étend ses bras entre ciel et terre.

Il nous prend avec lui dans sa mort, comme il nous prendra dans sa résurrection.

« Quand je serai élevé de terre, j’attirerai les hommes à moi ».

« En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit ».

C’est accompli !

 

Dans ses blessures…

Voilà le Seigneur mon Dieu, il prend ma défense ; qui donc me condamnera ?

Isaïe 50,9

Le Fils de Dieu vit ses derniers jours sur cette terre:

Le Serviteur de Dieu prophétisé par Isaïe, c’est lui.

Ce qui était annoncé, il l’accomplira pour nous.

Quelle signification donner au destin tragique de Jésus ?

Mystère insondable de notre iniquité !

Face aux horreurs de notre histoire, Dieu n’est ni indifférent ni passif.

Comment alors ne pas tout déposer au pied de la croix de son Christ… ?

Comment ne pas croire à son pardon… ?

« Où est-il, votre Dieu » face à l’iniquité du mal ?

Que les sceptiques gardent pour eux leur ironie !

Le Christ en croix est la réponse à quiconque doute de la compassion du Père.

Scellée par la souffrance rédemptrice du Christ, la parole de Dieu est crédible.

Quiconque l’a accueillie un jour au cœur de sa détresse, ne serait-ce qu’un moment, le sait bien.

Seigneur, donne à chacun de nous un peu de l’intelligence du mystère de la Croix. Fais que notre vie soit cohérente avec ce que tu nous fais connaître, et si tu veux que nous pratiquions avant de connaître, que nous aimions avant de comprendre, donne-nous ton Esprit à travers ta mort et ta Résurrection glorieuse.

+Carlo Maria Martini

2006-08-24 11-32-51 Retraite +á Ottrott 023